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Espèces exotiques envahissantes De belles perspectives offertes par la lutte biologique

Un psylle est étudié pour lutter contre la renouée du Japon, un champignon contre Miconia... Mais ces solutions ne s’envisagent qu’en l’absence de conséquences négatives potentielles liées à ces nouvelles introductions.

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Alors que la France est régulièrement rappelée à l’ordre par l’Union européenne en matière de lutte contre les espèces exotiques envahissantes, les méthodes de lutte alternatives se développent, et notamment le recours à des insectes prédateurs.

Un psylle contre la renouée

Des expérimentations ont ainsi été menées au Royaume-Uni pour identifier des ennemis potentiels de la renouée du Japon (Reynoutria japonica). Les chercheurs ont déterminé que le psylle Aphalara itadori, originaire lui aussi du Japon, s’attaquait spécifiquement à ces plantes sans causer de dommages à d’autres espèces.

Ce petit insecte suceur de sève de 2 mm a reçu une première autorisation en 2010 pour des lâchers dans une dizaine de sites du pays. Le protocole permettait d’évaluer l’impact de sa prédation sur la plante envahissante, mais également de vérifier qu’il ne produisait pas d’effets délétères sur d’autres êtres vivants. Même pour des lâchers massifs de 150 000 individus, aucune conséquence négative n’a été observée. Ils n’ont pas non plus permis à l’insecte de s’établir en grandes populations. Le niveau restait trop faible pour avoir un effet notable.

Une nouvelle autorisation de lâchers a été délivrée, cette fois-ci à proximité de cours d’eau, afin d’offrir de meilleures conditions pour établir une population.

Des lâchers intensifs et des programmes de surveillance ont suivi pendant les étés 2015 et 2016. Dans chacun des sites, des psylles jeunes et adultes, ainsi que des nymphes, ont été trouvés, mais en faible nombre et en quantité encore plus limitée vers la fin de la saison. Pour permettre une survie aux mois froids, des adultes prêts à hiverner ont été lâchés à l’automne 2016. Les lâchers des deux années suivantes ont également conduit à de faibles établissements et hivernages.

À la suite de ces résultats, une nouvelle étude a débuté au Japon. Elle consiste à repérer­ et à collecter des psylles mieux adaptés aux conditions climatiques du Royaume-Uni.

Au Canada, un projet similaire a été déclenché en 2014. Les chercheurs à l’ori­gine de l’étude préconisent l’utilisation d’A. itadori en combinaison avec d’autres mesures de lutte plutôt qu’en tant que solution isolée. Ils recommandent également de concentrer les futurs lâchers de l’insecte peu de temps après la coupe ou les traitements herbicides afin de maximiser la disponibilité de jeunes feuillages tendres.

Un autre programme, lui aussi avec Aphalara itadori, a été lancé en 2020 aux Pays-Bas. Des lâchers seront effectués dans trois sites.

Un champignon contre Miconia

Le miconia (Miconia calvescens), introduit en 1937 comme plante ornementale, s’est dispersé dans plusieurs îles de la Polynésie française. Il est aujourd’hui une prio­rité de gestion pour la conservation des forêts humides de ces îles. En cinquante ans, il s’est installé sur 70 % du territoire de Tahiti. On le trouve désormais jusqu’à 1 400 m d’altitude. Plusieurs techniques de lutte sont utilisées. L’étendue de la colonisation a poussé des chercheurs à s’intéresser au développement d’une lutte biologique pour le contrôler.

Colletotrichum gloeosporioides forma specialis miconiae (CGM), un champignon pathogène découvert au Brésil, provoque un dessèchement des feuilles et une nécrose de la plante. Il est testé depuis 2000 à Ta­hiti, initialement dans deux parcelles vers 600 m d’altitude en forêt humide. Le dé­veloppement de près d’une centaine de plants de Miconia à différents stades de croissance a été suivi pendant six ans. Au bout de trois mois, 100 % des plantes des parcelles testées étaient infectées, avec des lésions sur 90 à 99 % des feuilles. La mortalité observée était de 15 % pour l’ensemble des plants et atteignait 30 % pour ceux de taille inférieure à 50 cm.

En trois ans, le champignon s’est disséminé dans toute l’île, infectant quasiment tous les plants de Miconia. Il a également été trouvé à Moorea, île située à vingt ki­lomètres au nord-ouest de Tahiti, sans qu’aucune inoculation intentionnelle n’y ait été effectuée. Les suivis réalisés durant cinq ans (2005-2010) ont montré une recolonisation par les plantes indigènes, en particulier par des pionnières exigeantes en lumière.

Autre exemple concernant l’Outre-mer : la vigne marronne­ (Rubus alceifolius), une ronce envahissante dans l’île de La Réunion. En 2007, après dix ans d’évaluation, la larve de la tenthrède (Cibdela janthina) a été introduite pour lutter contre cette plante. Les larves ont déjà détruit 300 hectares et le « front » des adultes progresse de 80 mètres par jour.

Il existe d’autres exemples d’utilisation d’insectes pour lutter contre les plantes invasives. C’est le cas d’Ophraella communa. Ce coléoptère détruit massivement les pieds d’ambroisie. Ou encore la guêpe galligène­ Trichilogaster acaciaelongifoliae pour lutter contre le mimosa chenille, envahissant dans certains pays.

Une lutte biologique complexe

Les pays européens ont encore quelques réticences à se lancer dans le contrôle biologique des espèces invasives. L’un des inconvénients majeurs est que certains organismes introduits pour éliminer une espèce invasive finissent par s’attaquer à des organismes non visés. Un exemple est l’introduction du crapaud-buffle (Rhinella marina) dans les Caraïbes et en Australie. Originaire d’Amérique centrale et du Sud, il est importé afin de lutter contre les ravageurs des cultures. Mais il est vite devenu incontrôlable.

Parmi les autres inconvénients : le temps et le coût nécessaires pour le programme de recherche, mais également le temps que la population s’établisse et remplisse les effets voulus, si elle le fait. Souvent, cette technique de lutte ne permet pas d’éradiquer l’espèce visée mais, au mieux, elle en réduit la densité. Et des questions viennent se poser. Par exemple, ces es­pèces peuvent­-elles devenir sources de nou­velles difficultés avec les évolutions climatiques à venir ?

Le contrôle biologique comporte cependant de nombreux atouts. Le fait de ne pas utiliser d’herbicides ou d’insecticides se révèle meilleur pour l’environnement. Cette technique de lutte peut être mise en place dans tous les lieux ciblés, y compris des zones difficiles d’accès. Et, s’il y a un coût en matière de recherche, il est moins important que les coûts d’une gestion régulière classique.

Depuis plusieurs années, des territoires d’Outre-mer ont recours à ce mode de gestion, avec des résultats plutôt positifs...

Léna Hespel

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